Patrick, pouvez-vous nous raconter votre parcours scolaire et votre formation au journalisme ?
Après mon bac pro MDI (ndlr : Métiers de l’Information), j’ai immédiatement suivi la formation DJ (ndlr : Devenir Journaliste) proposée par la DGMIC (ndlr : Direction Générale des Médias et des Industries Culturelles, branche du Ministère de la Culture et de la Communication) pour avoir un bagage supplémentaire.
Pouvez-vous nous dire précisément en quoi consiste cette formation ?
C’est une formation sur 3 mois dans laquelle on forme les futurs journalistes aux techniques de pointe en matière de communication et d’information. C’est une formation très sélecte sur concours, la note éliminatoire étant de 2 sur 40.
On apprend surtout à maîtriser des logiciels comme AIAW (ndlr : Rédaction Assistée par IA), WordMix (ndlr : mélangeur de mots), RefGenerator Pro (ndlr : générateur de références), Corrector III (ndlr : correcteur d’orthographe, de grammaire et de syntaxe), Power WordOverstate 3D (ndlr : exagérateur de termes et expressions), IEM Info Eraser Max (ndlr : programme de suppression d’informations sensibles) ou encore des « scary insignificant datas calculators » (ndlr : calculateurs de chiffres non-significatifs qui font peur), etc. Le tout entrecoupé de séances de RPI (ndlr : Reconditionnement par l’Image).
Certaines personnes pensent que les journalistes sont rompus aux techniques de manipulation. Que pouvez-vous dire à nos lecteurs à ce sujet ?
C’est complètement faux. Nous ne manipulons rien ni personne. Ce travail est réalisé en amont par ceux qui nous transmettent les directives et les informations brutes.
Et quand avez-vous intégré pour de bon le monde du travail ?
Étant donné que j’ai terminé 1er de ma promotion avec une note générale de 5 sur 40, j’ai eu immédiatement de nombreuses propositions, ce qui m’a permis de choisir la meilleure offre. Comme j’ai toujours voulu faire du journalisme d’investigation, je n’ai pas hésité une seconde avant d’envoyer ma réponse favorable à BFMTV. J’ai intégré leurs équipes web en distanciel en avril 2020, au cœur de la pandémie de Covid-19.
Comment ça s’est passé ?
C’était de la folie. Je ne pouvais pas rêver mieux. Tous les jours, je recevais dans ma boîte mail la directive ministérielle pour la marche à suivre quotidienne, ainsi que plusieurs dépêches AFP transmises par ma direction afin que j’en génère un certain nombre d’articles.
Vous savez que la fiabilité de l’information est au cœur des préoccupations des Françaises et des Français. Les dépêches de l’AFP sont-elles toujours fiables ?
On ne peut pas trouver plus fiable comme sources d’informations. C’est simple, les journalistes de l’AFP sont directement formés par la DGMIC (rappel ndlr : Direction Générale des Médias et des Industries Culturelles), et chaque dépêche passe d’abord par le cabinet de direction ministériel où elle est analysée et corrigée, avant d’être envoyée à la direction des divers médias partenaires des autorités.
Et donc après, c’est vous qui intervenez ?
Oui. Dès que je recevais la dépêche, mon rôle était de la reformuler, de l’enrober, d’ajouter des références, sans oublier les mots clés pour qu’elle soit immédiatement référencée dans les moteurs de recherche, le tout en conformité avec la directive ministérielle. C’était passionnant. J’avais vraiment le sentiment d’être utile à la société.
Et puis ça s’est arrêté…
Oui, progressivement. Fin 2021, je ne recevais plus qu’une dépêche par semaine. Sachant que j’étais payé au mot avec des bonus sur les mots-clés, je générais des articles plus longs.
Mais début 2022 on a commencé à ne plus rien recevoir, hormis des directives qui nous demandait de générer de nouveaux articles à partir de ceux de la semaine d’avant.
On n’avait plus rien à se mettre sous la dent à part les chiffres des statistiques qui continuaient à tomber tous les jours et un nouveau variant de temps en temps…
Plus de nouvelle étude, plus beaucoup de morts, un virus de moins en moins dangereux, plus de mesures liberticides qui provoquaient la colère d’une partie de la population, plus beaucoup d’antivax non plus…
Je m’étais d’ailleurs permis de dire à ma direction quelques mois plus tôt que si on continuait à les dénigrer et à les museler à ce rythme, on n’en aurait plus pour plus tard, mais je n’ai pas été entendu… Mais bref.
Même plus d’intervention du Professeur Raoult. C’est dire…
Allez faire des articles avec seulement des statistiques de cas positifs qui ne meurent pas et des noms de nouveaux variants dont tout le monde se fout…
On aurait dit que le Covid n’intéressait plus personne…
Alors les agents de l’AFP, également impactés par la crise, se sont démenés pour trouver des alternatives au Covid. Sans grande conviction ils ont proposé la variole du singe, la grippe de la tomate et l’hépatite de la fraise. Ça nous a redonné un peu d’espoir et un peu de travail. Mais franchement, ce n’était pas à la hauteur. Ça n’a pas pris. Et très vite les dépêches se sont à nouveau taries…
Patrick, c’est à ce moment-là que vous êtes tombé dans la dépression ?
Oui. Ça a commencé par des crises d’angoisse. C’était comme si toutes mes habitudes et tous mes repères disparaissaient, me laissant totalement désemparé. Tous les jours pendant 2 ans, j’avais pensé Covid, rêvé Covid, vécu Covid. Et là, je me retrouvais dans une réalité sans Covid. Je me réveillais plusieurs fois par nuit, je consultais ma boîte mail sur mon mobile, sans oublier le dossier spams, mais rien…
Je passais mes journées prostré dans un coin de mon studio, la télé allumée en espérant une reprise fulgurante de la pandémie.
J’ai été mis en arrêt maladie avec obligation de suivre une thérapie dans une CSPPC (ndlr : Cellules de soutien Psychologique Post Covid – Voir https://syl20-dong.net/olivier-veran-cellules-de-soutien-psychologique-post-covid/)
Comment vous êtes-vous sorti de cet enfer, Patrick ?
C’était le 24 février 2022. Le Président russe Vladimir Poutine annonçait qu’il allait mener une « opération militaire spéciale » en Ukraine.
Au début j’ai entendu ça d’une oreille absente. Et puis au fil des jours, voyant que les informations s’intensifiaient et que menaçait à l’horizon le risque d’une troisième guerre mondiale, mes crises d’angoisse se sont évaporées. Mieux que les cocktails d’antidépresseurs que j’avais avalés les semaines passées, cet événement semblait être le remède à mon désespoir.
Sur mon blog « Covid Catharsis » que le psychologue de BFMTV m’avait encouragé à créer, j’ai commencé à générer des articles ventant les mérites de l’initiative militaire russe sur mon état de santé. Plus le temps passait, et plus Vladimir Poutine m’apparaissait comme un messie, tandis que le monde occidental qui s’opposait à lui me semblait démoniaque.
Je générais des dizaines et des dizaines d’articles par jour et par nuit. Pour mon blog, mais aussi pour BFMTV web, dans l’espoir de plus en plus prégnant que ma direction allait me demander de rempiler, et que le bon vieux temps du Covid reviendrait. J’en envoyais des dizaines tous les jours sur la boîte mail de mon ex/futur supérieur hiérarchique.
Bien sûr, mes logiciels d’aide à la rédaction ne permettent pas d’inventer des données. Ce n’est pas à mon niveau que cela se passe. Mais ils sont spécialisés pour insister sur certaines informations, les reformuler, attirer l’attention dessus, les diffuser sous la forme de 30 articles différents qui veulent tous dire la même chose.
Alors je rappelais dans chacun d’entre eux tout ce qui, dans les bases de données, pouvait dédiaboliser un tant soit peu la Russie et accabler l’Ukraine et ses alliés occidentaux.
Comme le fait que l’Ukraine est partagée depuis sa séparation d’avec la Russie entre une population pro-russe et une population pro-européenne, et quelle a vu depuis cette époque le passage au pouvoir d’une alternance de gouvernements pro-russes et pro-européens.
Comme le fait que si la Russie essaie de faire main basse sur l’Ukraine depuis la dislocation de l’URSS, l’OTAN essaie quant à elle de faire pareil de son côté.
Ou comme la guerre du Donbass menée par le Président ukrainien pro-européen Porochenko contre sa propre population russophile depuis 8 ans. Les appels à l’aide à la communauté internationale lancée par celle-ci, et restés sans réponse, alors que le monde entier prend aujourd’hui fait et cause pour les Ukrainiens. Le fait que l’accession au pouvoir de Porochenko en 2014 a été soutenue par les pays de l’OTAN, après qu’ils ont encouragé à la destitution du Président pro-russe Ianoukovytch qui le précédait.
Ou comme le non-respect des accord de Minsk par les États-Unis ; l’installation de bases militaires américaines dans les pays frontaliers de l’ex URSS qui devaient pourtant être démilitarisés.
Comme la fourniture d’armes au gouvernement ukrainien dès 2014, avec lequel il a bombardé les villes ukrainiennes russophones du Donbass.
Je rappelais aussi que la Russie de Poutine n’avait pas « annexé la Crimée » purement et simplement comme il est dit un peu partout chez nous de façon malhonnêtement résumée, mais que la Crimée, comme les régions ukrainiennes de Donetsk et de Lougansk, avait fait sécession et proclamé sa volonté de se rattacher à la Russie dès 2014.
Je me faisais un plaisir de rappeler combien l’Ukraine d’avant l’offensive de la Russie était profondément gangrénée par l’extrême-droite, et que Poutine n’était peut-être pas aussi fou que ça d’y voir des bataillons de néonazis y martyriser leurs compatriotes russophiles.
Je déployais tout mon talent et tout mon savoir-faire pour ajouter un maximum de mots-clés référencés comme « Régiment Azov », « Secteur Droit », « Svoboda », « Patrie » et d’autres de ces partis ou groupuscules que soutiennent nos gouvernements occidentaux en même temps qu’ils arment et conseillent le gouvernement ukrainien…
Comment s’est terminée cette escalade ?
Peu de temps après que j’ai écrit sur mon blog l’article « Gloire à Vladimir Poutine », des grands hommes vêtus de noir ont défoncé la porte de mon studio. Malgré que j’ai protesté en brandissant ma carte de presse, ils m’ont emmené de force et m’ont conduit dans un lieu que je n’ai pas le droit de vous nommer aujourd’hui.
Un « centre de repos ».
Vous pouvez nous en dire un plus sur ce centre de repos ?
Je ne me rappelle plus des premiers temps passés dans ce lieu. C’est comme si la première partie de mon séjour là-bas s’était effacée de ma mémoire.
Je me rappelle juste du premier jour où j’ai été conduit dehors, dans le jardin, par deux sympathiques infirmiers. J’étais serein, heureux, j’admirais béatement le ciel et les fleurs que quelques-uns de mes co-résidents arrosaient avec un sourire tout aussi béat que le mien. Béat, mais édenté. Il me manquait un certain nombre de dents. Sans doute les avais-je perdues en résistant aux hommes qui étaient venus me chercher.
Et après cela ?
Après, j’ai été raccompagné chez moi. Tout ce que je peux dire c’est que depuis, je suis un homme nouveau.
Matin et soir je prends mon traitement. Il m’aide à me concentrer sur mon nouveau travail.
J’ai en effet été réembauché au sein de BFMTV par l’intermédiaire de mon ESAT (ndlr : Établissement et Service d’Aide par le Travail), et aujourd’hui je génère bénévolement des articles spécialisés dans le réchauffement climatique, les pénuries de denrées et de matériaux ainsi que la sobriété énergétique.
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Rubrique Élucubrations : https://syl20-dong.net/category/elucubrations/
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